Brève Histoire d’Alter

1. Je ne commence pas par qualifier Alter, car la polysémie de ce terme latin, choisi délibérément lors d’échanges libres, dans les années 1987-1988, dans les parages du « CTN » installé en ce temps-là à Vanves, a été voulue et nécessaire : autre, altérité, altération, handicap, infirmité, marginalité, le et cetera étant ici indispensable.

2. Etions-nous une bande d’indécis, incapables de se déterminer sur un concept ? Etions-nous, en outre, un rassemblement de chercheurs hétéroclites, ne sachant pas de quelle discipline ils relevaient ? En effet, à côté d’Alter nous avons fini par mettre « association internationale pour l’histoire des… ». Le « pour » laissait volontairement la porte ouverte à tous ceux, qu’ils soient sociologues, anthropologues, psychologues, juristes, voire professionnels, qui pensaient ne pas pouvoir se passer de la profondeur historique, sans être historien. L’histoire constituait comme un tissu conjonctif, mais n’imposait pas une discipline dont Michel Foucault nous avait appris à nous méfier.

3. Ainsi se dessinait, et de plus en marge du circuit proprement universitaire -qui d’ailleurs à l’époque n’accueillait pas le thème, pluridisciplinaire, du handicap- un mouvement de recherche exigeant sur la rigueur à mettre dans tous les travaux, mais ouvert au croisement des savoirs. Nous avons tenu immédiatement à la dimension internationale, d’autant que l’un des membres fondateur, Gary Woodill venait du Canada, ayant participé à l’exceptionnel colloque international qui eut lieu au CNAM en 1988,sous la houlette de Louis Avan, fondateur du Laboratoire Brigitte Frybourg.

4. Ces orientations : interdisciplinaire et inter chercheurs, internationale et inter langues, inter temporalités et “inter soucis du présent”, ont engagé une belle dynamique. Le démarrage fut donné par deux journées d’études, programmatiques, dont Catherine Barral, comme dans toute la suite de l’histoire d’Alter, fut la principale cheville ouvrière.

5. Elle se tint les 10 et 11 juin 1988. Pierre Laroque, créateur de la Sécurité Sociale de 1945, était présent, les communications étaient de haut niveau, avec par exemple Iain Davidson (Ecosse), Georges Vigarello (EHESS) ; Ole Elstrup Rasmussen (Danemark). On dénombrait cinquante personnes participant. Les actes de ce séminaire de démarrage ont été collationnés!


6. Même sans lieu attribué Alter, société internationale pour l’histoire des infirmités, déficiences, inadaptations, handicaps… a organisé pendant plus de dix années les « mardis d’Alter », tantôt rue Delambre (Agefiph à ce moment), tantôt à l’Inserm (rue de Tolbiac), tantôt encore dans un bistrot (Le Rallye, bd Bourdon) tantôt encore dans les locaux d’une association, où des personnalités diverses étaient invitées à faire l’auto histoire de leur parcours.

7. La liste est longue. J’en cite quelques uns, en étant conscient d’en oublier beaucoup : Robert Castel, Marcel Gauchet, Roger Perron, Pierre-Henri Guérand, Claude Veil, Alain Corbin, Roland Assathiany, Jean-Pierre Peter, Aimé Labregère, Jean-François Montès, Jacqueline Gateaux, Claude Faugeron, Claire Salomon-Bayet, Bernard Mottez, Patrice Pinell, Nadine Lefaucheur, Eric Plaisance, Claude Wacjman, Jacques Postel, Geneviève Paicheler, Monique Vial, Michel Chauvière, Claudine Herzlich, Robert Durand ; Christine Rater-Garcette, Christian Sanchez, Thiéry Filiaut.

8. Quand il n’y avait pas d’invité extérieur, c’était l’un des acteurs-fondateurs qui s’exécutait : François-Olivier Touati, Henri-Jacques Stiker, sans oublier des chercheur(e)s comme Olivier Faure ou Dominique Dessertine. Les noms évoqués montrent l’environnement scientifique de la Société, mais ne saurait faire oublier les adhérents, parfois les mêmes mais pas seulement loin de là.

9. Au 31 décembre 1992 il y avait 151 membres cotisants, en juillet 1995 on en comptait encore122 alors qu’il n’y en avait plus que 70 en 1997. Afin d’assurer un lien entre les participants de ce réseau, et donner des informations sur les parutions ou manifestations scientifiques concernant le handicap l’association éditait La brève d’Alter qui a paru jusqu’au début des années 2000, à raison de plusieurs fois par an.

10. Alter participait à différents autres réseaux, tel le Réseau National d’histoire du travail social, l’Association pour l’histoire de l’éducation surveillée et de la protection judiciaire des mineurs, Le Comité d’histoire de la Sécurité sociale, le CNAHES (Conservatoire national pour l’histoire de l’éducation spéciale) Mémoires-Vives-Centre sociaux. Ce réseau, sous l’incitation d’Alter, a organisé des rencontres qui ont duré jusqu’à 1999, telle celle du 29 mai de cette année là sur le thème des Classifications dans l’histoire, au Musée Social.


11. Parallèlement à ces réunions trimestrielles du mardi et à l’animation des membres, l’association a ouvert, ou tenté d’ouvrir, des chantiers de recherches, tel celui sur un dictionnaire historique et critique du « handicap » qui n’a jamais vu le jour tellement la tâche était au de là des forces disponibles, mais qui a abouti néanmoins à la publication d’un petit livre : Fragments pour une histoire, notions et acteurs, édité par le CTNERHI et partiellement financé par la Fondation de France grâce à notre amie Nancy Brétenbach, en 1996. Les contributions de Monique Vial, Bernard Mottez, Jean-Louis Korpès, entre autres, étaient remarquables. Nous n’avons pas compté les réunions, conviviales, mais animées, de préparation qui se tenaient la plupart du temps chez Françoise Mandelbaum, rue Nationale !

12. Très rapidement après la création d’Alter, des journées d’études ont vu le jour. Le 31 mars 1990, dans les locaux de l’AFM, sous l’impulsion principale d’Olivier Faure, a été examinée la période 1880-1914, sous le titre Nouvelles catégorisations des assistés, où sont intervenus Colette Bec, Jean-François Montès, François Ewald, Olivier Faure, Dominique Dessertine, Jacqueline Roca, Monique Vial. Les actes sont parus dans Les cahiers de la recherche sur le travail social N° 19/1990.

13. Un autre chantier est demeuré lui aussi en friche, celui de la protection des archives. François-Olivier Touati a organisé à cet effet une journée d’étude, qui fut une véritable découverte, au Musée des Hôpitaux de Paris, centrée sur les sources iconographiques (4 avril 1992). Elle faisait suite à celle relative aux sources et archives de l’histoire de l’infirmité, organisée par Françoise Mandelbaum-Reiner, Michel Royant et François-Olivier Touati le 20 janvier 1990, dans les locaux de l’AFM place de Rungis.

14. Cette préoccupation s’est prolongée par une rencontre à la Maison des sciences de l’homme de l’Université d’Angers, où étaient déposées les archives de l’histoire de l’action sociale, avant qu’elles ne soient, finalement, à Pierrefitte ; c’était en collaboration avec le CNAHES, grâce notamment à Françoise Tétard. En termes de journées d’études il faut encore signaler celle où ont été visionnés les films de propagande nazie sur l’élimination des handicapés mentaux, que Françoise Tétard, avait réussi à faire sortir des réserves des Invalides.

15. Au cours des années 1990, un grand projet a vu le jour : un colloque de trois jours, intitulé : Le handicap a-t-il une histoire ? Les associations et l’État dans la construction sociale du handicap au XXe siècle, s’est tenu du jeudi 12 janvier 1995 au samedi 14 à l’Institut National de la Jeunesse et de l’Éducation Populaire à Marly-le-Roi. Les historiens qui estimaient le travail d’Alter et avec lesquels nous entretenions des relations, Michelle Perrot, Alain Corbin, Antoine Prost, nous ont encouragés, soutenus et se sont rendus libres pour présider certaines séances. Le public est resté très fidèle jusqu’au samedi soir ! La fin de cette belle aventure fut la fête organisée le 9 novembre 2000 pour la parution aux Presses Universitaires de Rennes des interventions des journées de 1995, sous le titre L’institution du handicap, le rôle des associations XIXe-XXe siècles (sous la direction de Catherine Barral, Florence Paterson, Henri-Jacques Stiker, Michel Chauvière).

16. Plusieurs facteurs, en ce début de la décennie 2000 sont intervenus pour modifier la trajectoire de l’Association créée en 1988. Les membres actifs comme les adhérents ont diminués, essentiellement faute de moyen en temps et en ressources, et parfois très pris dans de nouvelles activités, comme par exemple la création et l’animation du GIFFOCH (Groupe international francophone pour la formation aux classifications du handicap), avec lequel Alter a passé une convention de collaboration.

17. Les bonnes relations avec le CTNERHI, où travaillaient, ou avec lequel travaillaient, certains membres d’Alter se sont dégradées à cause de la direction malencontreuse de cette institution et s’est alors posée la question, au vu de la perte de vitesse puis de la disparition de la revue portée par le CTN, de lancer une nouvelle revue, scientifique, européenne, pluridisciplinaire, bilingue. Ce projet, qui a si bien réussi, a mobilisé les énergies de l’Association, celle-ci devenant essentiellement la fondatrice et la propriétaire de la revue. Dans la ligne précédente, mais où le souci d’histoire était moindre et plus diversifié, des journées d’études ont vu le jour, cette fois en relation étroite avec la revue, ce qui a conduit à refonder l’association autrement.